History of Fantasy

2021, Everyday Gallery, Anvers, Belgique.
Cur. Emmanuelle Luciani.
Artists : Bella Hunt & DDC, Jean-Baptiste Janisset, Jenna Kaës, Jacopo Pagin, Laure Provost, Mamali Shafahi.


FR / ”History of Fantasy" est une promenade fantasmagorique peuplée de fantômes, animée d'une magie vénéneuse. Elle s'inscrit dans le sillage d'une nouvelle vague crépusculaire, réminiscence d'un courant sous-jacent qui traverse l'histoire depuis la fin du XVIIIe siècle, convoquant les avatars successifs de la matrice romantique, du néo-gothique à la vague noire et au fantastique, en passant par le style troubadour et le symbolisme fin de siècle.

”History of Fantasy" est un vagabondage historique rempli de souvenirs, de fantasmes et de recréations. Loin d'être considérée comme un bloc uniforme, cette histoire est le fruit de souvenirs et d'absences. Ces fantasmes historiques sont comme des échappées hors du temps, nous projetant dans d'autres dimensions temporelles, où l'histoire devient un monde en soi. Les œuvres exposées et produites dans le cadre de ”History of Fantasy" explorent ces réminiscences historiques et mémorielles. Les imprécisions laissées par le passage du temps, contrebalancées par la persistance visuelle, autour de motifs ou de formes entrés dans l'inconscient collectif (l'arc gothique, le gisant, et autres ornements...) sont sources de création, de réinvention et de variation. Ces réminiscences historiques et artistiques sont convoquées par les artistes dans la promenade historique de ”History of Fantasy" . Notamment à travers l'œuvre tissée de Laure Prouvost, représentant une stèle, ou à travers le gisant celto-atlante de Bella Hunt & Ddc représentant une femme guerrière antique, véritable réinvention a posteriori, ou encore les linceuls de Valkyrie de Jenna Kaës. Ces œuvres évoquent un imaginaire historique qui se traduit par des créations et des variations formelles, à la manière du style littéraire de l'heroic fantasy, tel que le Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien, héritier du récit épique antique et médiéval. On ne sait pas si les œuvres de Bella Hunt & Ddc ou le cheval quasi-Parthe de Jean-Marie Appriou sont des œuvres de civilisations oubliées ou les nouvelles icônes d'un monde imaginaire. L'exposition crée des correspondances et des hommages à l'architecture gothique et baroque des Flandres, véritable point de friction entre les influences du nord et du sud de l'Europe et de l'espace germanique, d'où émerge une forme de fusion artistique que l'on retrouve chez tous les artistes de ”History of Fantasy" .

”History of Fantasy" s'inscrit dans ce mouvement de fond lié au romantisme noir et au roman gothique, né au XVIIIe siècle, de la rupture de la Révolution française suivie de la révolution industrielle, et s'étendant au début du XIXe siècle à toute l'Europe. L'histoire devient l'espace de tous les fantasmes en contrepoint de l'éternel présent. L'admiration pour la grandeur antique de la Renaissance et du XVIIe siècle fonctionne déjà comme un renouveau ; le fantasme du passé devient un support de création. À partir des années 1770, cette relation calme et positive avec le passé change, et n'est plus seulement une source de connaissance et d'inspiration. L'histoire devient un refuge face aux changements accélérés et parfois brutaux des sociétés occidentales modernes. Les bouleversements de la fin du XVIIIe siècle conduisent à l'émergence d'une conscience patrimoniale et d'un nouveau rapport au temps, où le présent est désormais pensé indépendamment du passé. La Restauration et la création de l'Histoire comme discipline détachée de la littérature et de la philosophie entraînent un regain d'intérêt pour le Moyen Âge et l'architecture gothique. C'est ainsi que naissent le néo-gothique, le style troubadour et le groupe préraphaélite. Il ne s'agit pas de mouvements purement historicistes, mais avant tout de créations basées sur une vision fantasmée (voir les reconstitutions de Viollet-le-Duc, les objets d'art de Félicie de Fauveau) d'un passé admiré. Cet attrait pour le passé comme source d'inspiration s'est poursuivi au-delà du XIXe siècle à travers les mouvements néo-roman, néo-byzantin, dans le néo-classicisme des années 1930 et même dans l'égyptomanie des années 1920. Au XXe siècle, dans les années d'après-guerre et surtout à partir des années 1970-1980, ce courant souterrain émerge à nouveau, incarné dans une sorte de "vague noire", une vague de fantaisie historique en contrepoint du refoulement historique induit par la fuite en avant moderne, puis par le présent post-moderne permanent. La littérature fantastique, dans le sillage de Tolkien à partir des années 1950, les jeux de rôle médiéval-fantastique dans les années 1960, la nouvelle vague et le courant néo-romantique dans les années 1980 apparaissent tous comme de pures inventions construites sur des réminiscences et des réinterprétations historiques, et sont des productions et des fantasmes uchroniques et alter-historiques. Ce leitmotiv de la fantaisie historique est une manifestation du kunstwollen - la volonté artistique - d'Alois Riegl, que ”History of Fantasy" se propose d'identifier et d'analyser. Ce besoin des artistes de se pencher sur l'histoire et le passé naît donc du poids du présent permanent et des oublis et déformations que le passage du temps entraîne, érodant la mémoire comme le passage de l'eau érode la roche. Les alluvions, cependant, transportées par l'eau, finissent par s'agréger à nouveau pour former des couches sédimentaires.

À l'instar de Jean-Marie Appriou et Laure Prouvost, les artistes de ”History of Fantasy" s'inscrivent dans la réémergence de ce courant de fond, ce néo-romantisme du XXIe siècle. Raphaela Vogel et Laure Prouvost abordent la mémoire par le biais de l'histoire intime et personnelle, tout en puisant formellement dans des formes anciennes liées aux arts décoratifs et à l'histoire de l'art. C'est le cas de l'esthétique gothique de Vogel, ancrée dans la vie quotidienne (le motif du vase), ou de la tapisserie de Prouvost (support du cycle narratif par excellence) représentant un mur de marbre, évoquant une crypte ou une chapelle baroque. Certains, comme Jean-Baptiste Janisset ou Andrew Humke, sont des artistes du syncrétisme, observant les motifs, les formes et les ornements, et les réutilisant pour créer de nouveaux assemblages. Andrew Humke est littéralement un artiste kunstwollen, manipulant des ornements qu'il utilise sur de grandes toiles, donnant une synthèse des arts populaires et décoratifs méditerranéens. Janisset construit des totems en plomb en assemblant des copies de décorations qu'il trouve sur des bâtiments anciens ou des tombes, réunissant dans une même œuvre un ensemble diffus de références et de formes vernaculaires et spirituelles. Dans le travail d'Ariana Papademetropoulos, la présence d'un voile onirique sur des scènes d'intérieur vintage ou des compositions surréalistes est associée à la récurrence du trou, de la fissure, qui sont ici comme des portails temporels, ou des fenêtres sur l'ailleurs. Dans le cas de Jacopo Pagin, toutes ses œuvres proposent une relecture et un hommage à toute l'histoire de l'art, tant italien que flamand (à travers les apports des peintres nordiques en Italie à la Renaissance). Subtilement, il revisite les clichés de la peinture vénitienne ou surréaliste, en y puisant des variations fantaisistes. Ces œuvres sont des fantaisies historiques, qui représentent comme des alter-esthétiques, des propositions latérales de tendances artistiques passées. Les œuvres de Jenna Kaës et de Bella Hunt & Dante Di Calce sont des compositions qui empruntent à l'histoire et au fantastique. La fantaisie, en tant que genre littéraire, est elle-même issue de ce phénomène de fantaisie historique, où le passé, parfois très lointain, est une source d'inspiration. L'influence des univers fictionnels, comme celui du Seigneur des Anneaux, créé par l'érudit J.R.R. Tolkien, plane sur les œuvres de ces artistes ; l'applique en forme de casque de Bella Hunt & Ddc est un hommage direct à l'armure des Elfes. Les arcs brisés très gothiques des dalles funéraires de Jenna Kaës sont contrebalancés par des reliefs représentant de gracieux linceuls, rappelant la lascivité de l'Art nouveau ou la délicatesse d'une draperie antique, et l'ensemble évoque un conte de fées irréel. Le sarcophage est peut-être celui d'un guerrier antique ou d'une Valkyrie, ce à quoi répondent deux des linceuls de Jenna Kaës, qui portent le nom de ces mythiques guerriers scandinaves. Pourtant, les céramiques de Bella Hunt & Ddc, avec leurs glaçures vibrantes et métalliques, évoquent autant des blasons fantaisistes que des calendriers automobiles. Ces œuvres touchent au populaire, au goût pour les voitures et les objets, et à la pratique du tuning, faisant se rencontrer culture populaire et références à l'histoire. Enfin, Jean-Marie Appriou livre également une fantaisie visuelle, avec ce relief mettant en scène un cheval, qui semble pétrifié dans un marécage ou enfoui dans une fosse, comme la monture d'un roi parthe enterrée avec lui et revenant parmi les vivants. L'ensemble de ”History of Fantasy" constitue une œuvre totale, une installation visuelle à part entière, dans laquelle est diffusée une bande sonore composée par le Kabyle Fragile ; l'invitation faite à Léa Porré et Igor Dubreucq d'explorer " Histoire de la fantaisie " dans des univers liés à la 3D constitue une seconde échappée hors de l'espace d'exposition.

On assiste ici à l'émergence d'un fantastique historique qui rappelle le symbolisme, le romantisme noir et le roman gothique, le tout embrassant la culture populaire, à la manière du high and low américain, liant grande histoire et art populaire.



EN / ‘History of Fantasy’ is a phantasmagorical stroll populated by ghosts, animated by a poisonous magic. It is part of the wake of a new twilight wave, a reminiscence of an underlying current that has been running through history since the end of the eighteenth century, summoning up the successive avatars of the Romantic matrix, from the neo-Gothic to the dark wave and fantasy, via the troubadour style and fin de siècle symbolism.

‘History of Fantasy’ is a historical wandering filled with memories, fantasies and recreations. Far from being considered as a uniform block, this history is the fruit of memories and absences. These historical fantasies are like escapes from the times, projecting us into other temporal dimensions, where history becomes a world in itself. The works exhibited and produced for ’History of Fantasy’ explore these historical and memorial reminiscences. The inaccuracies left by the passage of time, counterbalanced by visual persistence, around motifs or forms that have entered the collective unconscious (the gothic arch, the recumbent, and other ornaments…) are sources of creation, reinvention and variation. These historical and artistic recollections are summoned by the artists in the historical walk of ‘History of Fantasy’. Notably through Laure Prouvost’s woven work, representing a stele, or through Bella Hunt & Ddc’s Celtic-Atlantean recumbent representing a female ancient warrior, a true reinvention a posteriori, or Jenna Kaës’ Valkyrie shrouds. These works conjure up a historical fantasy that translates into creations and formal variations, in the manner of the literary style of heroic fantasy, such as J. R. R. Tolkien’s Lord of the Rings, heir to the ancient and medieval epic narrative. It is unclear whether the works of Bella Hunt & Ddc or the quasi-Parthe horse of Jean-Marie Appriou are works from forgotten civilizations or new icons of an imaginary world. The exhibition creates correspondences and tributes to the gothic and baroque architecture of Flanders, a real point of friction between the influences of northern and southern Europe and the Germanic area, from which a form of artistic fusion emerges that can be found in all the artists of ‘History of Fantasy’.

‘History of Fantasy’ is part of this fundamental movement linked to dark romanticism and the gothic novel, born in the eighteenth century, from the rupture of the French Revolution followed by the industrial revolution, and extending at the beginning of the nineteenth century to the whole of Europe. History becomes the space of all fantasies in counterpoint to the eternal present. Admiration for the ancient grandeur of the Renaissance and the seventeenth century already functioned as a revival; the fantasy of the past became a medium of creation. From the 1770s onwards, this calm and positive relationship with the past changed, and was no longer just a source of knowledge and inspiration. History became a refuge from the accelerating and sometimes brutal changes of modern Western societies. The upheavals of the late eighteenth century led to the emergence of a heritage consciousness and a new relationship with time, where the present is now thought of independently of the past. The Restoration and the creation of History as a discipline detached from literature and philosophy led to a renewed interest in the Middle Ages and in Gothic architecture. This gave rise to the neo-Gothic, the troubadour style and the Pre-Raphaelite group. These are not purely historicist movements; they are above all creations based on a fantasised vision (see the reconstructions of Viollet-le-Duc, the objets d’art of Félicie de Fauveau) of an admired past. This attraction to the past as a source of inspiration continued beyond the nineteenth century through the neo-Romanesque, neo-Byzantine movements, in the neo-classicism of the 1930s and even in the egyptomania of the 1920s. In the 20th century, in the post-war years and particularly from the 1970s-1980s, this underground current emerges again, embodied in a kind of “dark wave”, a wave of historical fantasy as a counterpoint to the historical repression induced by the modern flight forward, then by the permanent post-modern present. Fantasy literature, in the wake of Tolkien from the 1950s onwards, medieval-fantasy role-playing games in the 1960s, and the new wave and neo-romantic current in the 1980s all appear as pure inventions built on historical reminiscences and reinterpretations, and are uchronic and alter-historical productions and fantasies. This leitmotif of historical fantasy is a manifestation of Alois Riegl’s kunstwollen – the artistic will – which ‘History of Fantasy’ proposes to identify and analyse. This need for artists to look at history and the past is thus born of the weight of the permanent present and of the forgetting and deformations that the passage of time entails, eroding memory as the passage of water erodes rock. The alluvium, however, transported by the water, ends up aggregating again to form sedimentary layers.

Like Jean-Marie Appriou and Laure Prouvost, the “History of Fantasy” artists are part of the re-emergence of this substantive trend, this neo-romanticism of the 21st century. Raphaela Vogel and Laure Prouvost approach memory through the medium of intimate and personal history, while at the same time drawing formally on old forms linked to the decorative arts and art history. This is the case with Vogel’s Gothic aesthetic, which is anchored in everyday life (the vase motif), or with Prouvost’s tapestry (the medium of the narrative cycle par excellence) depicting a marble wall, evoking a crypt or a Baroque chapel. Some, like Jean-Baptiste Janisset or Andrew Humke, are artists of syncretism, observing motifs, forms and ornaments, and reusing them to create new assemblages. Andrew Humke is literally a kunstwollen artist, handling ornaments which he uses on large canvases, giving a synthesis of Mediterranean popular and decorative arts. Janisset builds lead totems by assembling copies of decorations he finds on ancient buildings or tombs, bringing together in one work a diffuse set of vernacular and spiritual references and forms. In Ariana Papademetropoulos’ work, the presence of a dreamlike veil over vintage interior scenes or surrealist compositions is associated with the recurrence of the hole, the crack, which are here like temporal portals, or windows on the elsewhere. In the case of Jacopo Pagin, all his works offer a re-reading of and homage to the entire history of art, both Italian and Flemish (through the contributions of the Nordic painters to Italy during the Renaissance). Subtly, he revisits the clichés of Venetian or surrealist painting, drawing on whimsical variations. These works are historical fantasies, which represent like alter-aesthetics, lateral proposals of past artistic trends. The works of Jenna Kaës and Bella Hunt & Dante Di Calce are compositions that borrow from history and fantasy. Fantasy, as a literary genre, is itself a product of this phenomenon of historical fantasy, where the past, sometimes very distant, is a source of inspiration. The influence of fictional universes, such as that of the Lord of the Rings, created by the scholar J.R.R. Tolkien, hovers over the works of these artists; the helmet-shaped sconce of Bella Hunt & Ddc is a direct homage to the armour of the Elves. The very gothic pointed arches of Jenna Käes’ funeral slabs are counterbalanced by reliefs depicting graceful shrouds, reminiscent of Art Nouveau lasciviousness or the delicacy of an antique drapery, and the whole evokes an unreal fairy tale. The sarcophagus may be that of an ancient warrior or a Valkyrie, to which two of Jenna Kaës’ shrouds, named after these mythical Scandinavian warriors, respond. Yet Bella Hunt & Ddc’s ceramics, with their vibrant, metallic glazes, are as much about fanciful coats of arms as they are about reminiscent of car calendars. These works touch on the popular, the taste for cars and objects, and the practice of tuning, bringing together popular culture and references to history. Finally, Jean-Marie Appriou also delivers a visual fantasy, with this relief featuring a horse, which seems to be petrified in a swampland or buried in a pit, like the mount of a Parthian king buried with him and returning to the living. The whole of ‘History of Fantasy’ constitutes a total work, a visual installation in itself, in which a soundtrack composed by Kabyle Fragile is played; the invitation to Léa Porré and Igor Dubreucq to explore ‘History of Fantasy’ in universes linked to 3D constitutes a second escape from the exhibition space.

Here we see the emergence of historical fantasy reminding us of symbolism, dark romanticism and the gothic novel, all of which embrace popular culture, in the manner of the American high and low, linking great history and popular art.