Monument à la licorne
2021-2022, Les Abattoirs - Musée Frac Occitanie, Toulouse.
Cur. Emmanuelle Luciani, dans le cadre de l’exposition « La Dame à la Licorne, médiévale et si contemporaine ».
Artists : Jean-Marie Appriou, Bella Hunt & DDC, Jenna Kaës.
FR / Sur invitation du musée des Abattoirs/Frac Occitanie de Toulouse et de sa directice Annabelle Ténèze, Emmanuelle Luciani a curaté et scénographié l’installation du Monument à la Licorne au sein de l’exposition La Dame à la Licorne, médiévale et si contemporaine. L’ensemble est un portail qui transcende le temps, et donne à voir une réalité alternative où les formes et motifs médiévaux se confondent avec la modernité, comme si l’univers visuel de la première Renaissance n’avait cessé d’exister. C’est une polyphonie et un récit visuel, où se rencontrent des références formelles, des blasons-calandres de Bella Hunt & Ddc à la puissante tête d’étalon blindé de métal de Jean-Marie Appriou en passant par les bannières de Jenna Kaës, à la manière d’un opéra, où individualité et collectif se confondent pour créer une oeuvre d’art total. La redécouverte du cycle de tapisseries de la Dame à la Licorne coïncide avec la naissance du style troubadour au début du XIXe siècle. C’est à ce moment clé de revival historique et d’émergence de la conscience patrimoniale en France que la Dame à la Licorne devient un monument, selon les valeurs définies par Alois Riegl dans Le Culte moderne des monuments, c’est-à-dire une oeuvre rassembleuse. L’un de ses sujets emblématiques, la licorne, s’est muée en une figure infraconsciente, hantant l’imaginaire collectif, des spécialistes au grand public. Créature du bestiaire médiéval, son règne rétinien s’étend au plus grand nombre, grâce à l’héraldique, à la littérature fantasy ou aux jouets pour enfant. À la fois spectre et muse, la licorne inspire Southway Studio pour son installation, qui se déploie sous l’apparence d’une grande salle d’apparat.
Vaste structure de chaux, le Monument à la Licorne de Bella Hunt & Ddc figure une licorne, coiffant le chapiteau d’une colonne commémorative. Les formes de cet autel de stuc, aux courbes organiques et déliées, constituent une chimère alter-historique, comme une vue sur une civilisation d’une dimension parallèle. Cette colonne-licorne, à mi-chemin entre un pilastre roman et une statue assyrienne, semble ainsi être un écho aux origines orientales de l’animal fantastique. Enfin, niché sur une aspérité de la partie centrale du monument, un calice en bronze de Jenna Käes évoque les artefacts mystiques des légendes anciennes, comme le Graal, objet d’une quête initiatique des chevaliers de la Table ronde. L’accrochage flamboyant du mur est le récit d’une salle d’armes hors du temps, avec les blasons-calandres tunés et enflammés, les cuirasses chromées et les heaumes fantastiques de Bella Hunt & Ddc, réinterprétations contemporaines d’objets guerriers médiévaux. Quatre bannières de velours chatoyant encadrent la composition centrale et la frise d’oves de Bella Hunt & Ddc. Ces oeuvres de Jenna Käes sont décorées d’une variation contemporaine du millefleurs, motif caractéristique des tapisseries du moyen-âge et ici peuplé de créatures fantastiques.
L'imposante tête de cheval caparaçonnée, Hengroen, de Jean-Marie Appriou, faisant dos au monumental rideau peint de Picasso (La mort du Minotaure en costume d’arlequin), toise l’installation de Southway Studio comme une monture de chevalier, figée pour l’éternité. Portant le nom de l’étalon du roi Arthur, cette sculpture revisite la littérature épique du moyen-âge, tout en semblant surgir d’un futur alternatif, avec ces plaques de métal rivetées à même la chair, telle la carapace d’un cyborg. Le bas-relief Canto VI, qui côtoie les oeuvres de Bella Hunt & Ddc et Jenna Käes sur le mur, illustre le chant VI de la Divine comédie de Dante. Ces deux oeuvres constituent ainsi une traversée des grands mythes médiévaux, des Chevaliers de la Table ronde aux écrits italiens de la première Renaissance.
EN / "Monument à la Licorne", cur. by Emmanuelle Luciani, as part of the exhibition "La Dame à la Licorne, médiévale et si contemporaine".
At the invitation of the Musée des Abattoirs/Frac Occitanie in Toulouse and its director Annabelle Ténèze, Emmanuelle Luciani curated and designed the installation of the Monument à la Licorne within the exhibition La Dame à la Licorne, médiévale et si contemporaine. The whole is a portal that transcends time, and gives us an alternative reality where medieval forms and motifs merge with modernity, as if the visual universe of the early Renaissance had never ceased to exist. It is a polyphony and a visual narrative, where formal references meet, from Bella Hunt & Ddc's coat of arms to Jean-Marie Appriou's powerful metal-armoured stallion head and Jenna Kaës' banners, in the manner of an opera, where individuality and collective merge to create a total work of art. The rediscovery of the Lady of the Unicorn tapestry cycle coincides with the birth of the troubadour style in the early 19th century. It was at this key moment of historical revival and the emergence of heritage awareness in France that the Lady of the Unicorn became a monument, according to the values defined by Alois Riegl in The Modern Cult of Monuments, i.e. a unifying work. One of its emblematic subjects, the unicorn, has become a subconscious figure, haunting the collective imagination, from specialists to the general public. A creature of the medieval bestiary, its retinal reign extends to the greatest number of people, thanks to heraldry, fantasy literature and children's toys. Both specter and muse, the unicorn inspires Southway Studio for its installation, which unfolds under the appearance of a large ceremonial room.
Bella Hunt & Ddc's Unicorn Monument, a large lime structure, features a unicorn atop the capital of a memorial column. The forms of this stucco altar, with its organic and loose curves, constitute an alter-historical chimera, like a view of a civilization from a parallel dimension. This column-licorn, halfway between a Romanesque pilaster and an Assyrian statue, thus seems to echo the oriental origins of the fantastic animal. Finally, nestled on a bump in the central part of the monument, a bronze chalice by Jenna Käes evokes the mystical artefacts of ancient legends, such as the Grail, the object of an initiatory quest by the Knights of the Round Table. The wall's flamboyant display tells the story of a timeless hall of arms, with Bella Hunt & Ddc's tuned and flaming coats of arms, chromium-plated breastplates and fantastical helmets, contemporary reinterpretations of medieval warrior objects. Four shimmering velvet banners frame Bella Hunt & Ddc's central composition and frieze of oves. These works by Jenna Käes are decorated with a contemporary variation of the millefleurs, a motif characteristic of medieval tapestries and here populated by fantastic creatures.
Jean-Marie Appriou's imposing caparisoned horse head, Hengroen, with its back to Picasso's monumental painted curtain (The Death of the Minotaur in Harlequin Costume), towers over Southway Studio's installation like a knight's mount, frozen for eternity. Named after King Arthur's stallion, this sculpture revisits the epic literature of the Middle Ages, while seeming to emerge from an alternative future, with its metal plates riveted to the flesh like the shell of a cyborg. The bas-relief Canto VI, which stands alongside the works of Bella Hunt & Ddc and Jenna Käes on the wall, illustrates Song VI of Dante's Divine Comedy. These two works thus constitute a journey through the great medieval myths, from the Knights of the Round Table to the Italian writings of the early Renaissance.