Pavillon Southway

© Adel Slimane Fecih

En 2019, Southway Studio et Emmanuelle Luciani présentent l’exposition Les Chemins du Sud au MRAC de Sérignan. Ce vaste show incarne un tournant du studio et du curator, qui théorise l’apport d’un Sud fantasmé et métaphorique dans la production artistique depuis le XIXe siècle, et le renouveau d’un attrait pour l’artisanat, les techniques traditionnelles et le domestique dans la création contemporaine.

Le Pavillon Southway, logé dans une maison des années 1880 dans le sud de Marseille, non loin des Calanques, incarne dès son ouverture en 2020 la continuité des Chemins du Sud, se présentant non seulement comme le lieu fixe de Southway Studio mais aussi et surtout comme un projet domestique total.

Une grande attention est donnée au contexte historique et social de la maison, qui est décorée et habitée d’oeuvres d’artistes du studio, qui réinventent une esthétique à la fois néo-classique et méridionale, dans le respect du caractère élégant et méditerranéen de l’édifice.

Cette Red House marseillaise, du nom de la maison édifiée et aménagée par William Morris, théoricien des Arts & Crafts et référence assumée de Southway Studio, est en perpétuelle évolution, changeant au gré des recherches et des productions. L’ensemble du large panel de techniques et mediums utilisés par les artistes collaborant ou représentés par le studio y est visible, de la fresque au stuc, en passant par la céramique, la peinture à l’huile ou l’installation vidéo.

© Axel Aurejac

Deux chambres, pour des hôtes ou des artistes en résidence, consacrent le pavillon comme lieu de vie, où ses oeuvres sont confrontées à un usage quotidien, hors de la sacralité du musée et du white cube.

En marge de cette maison-oeuvre globale, un project space à l’étage permet des expositions temporaires, restitutions de résidence ou préludes à des shows d’importance ex-situ.

© Axel Aurejac

 

A gallery, an artist house from the 1880s located in the south of Marseille


In 2019, Southway Studio and Emmanuelle Luciani presents the exhibition Les Chemins du Sud at the MRAC in Sérignan. This wide-ranging show presents a turning point for the studio and the curator, theorising the contribution of a fantasised and metaphorical South in artistic production since the nineteenth century, and the revival of an attraction to the crafts, traditional techniques, and the domestic in contemporary creation.

The Pavillon Southway, situated in a house dating from the 1880s in the south of Marseille, not far from the Calanques, embodies the continuity of the exposition Chemins du Sud from its opening in 2020, presenting itself not only as Southway Studio's designated location but also and above all as a comprehensive domestic project.

A great deal of attention is paid to the historical and social context of the house, which is decorated and inhabited with works by artists from the studio, reinventing an aesthetic that is both neo-classical and southern, while appreciating the elegant, Mediterranean character of the building. Named after the house built and furnished by William Morris, an Arts & Crafts theorist, and a Southway Studio's reference, the Red House in Marseille is constantly evolving, and changing with research and production.

The wide range of techniques and media used by the artists collaborating with or represented by the studio can be seen here, from fresco and stucco to ceramics, oil painting, and video installations.

© Adel Slimane FeciH

Two bedrooms, for guests or artists in residence, establish the pavilion as a place to live, where the œuvres are put to everyday use, away from the sacredness of the museum and the whitecube.

On the fringes of this maison-œuvre, a project space on the first floor can be used for temporary exhibitions, restitutions of residencies, or preludes to major ex-situ shows.

© Adel Slimane Fecih

 
 

“ C’est avec un amour flamboyant que Southway Studio embrasse, dans un geste artistique qui s’accomplit dans le savoir-faire et la minutie artisanale les plus passionnés, l’imaginaire mystique de notre époque.”

Pacôme Thiellement

 

L’art devrait toujours être un pont. L’art devrait toujours «faire pont» : entre les hommes et les choses, entre les hommes et la terre, entre les hommes et le ciel, entre les dieux et les hommes. Le nom que les Grecs donnaient à l’«intervalle» ou à l’«intermédiaire» entre deux entités était Metaxu ou Metaxy. On dirait un nom de vaisseau spatial.

La spiritualité populaire aujourd’hui ne passe plus par les discours des dignitaires des Églises(on peut,de toutes façons, se demander si celle-ci a vraiment pu passer par eux un jour). Elle passe par la science-fiction, les concerts de rock, les séries télévisées, ou même le football. Elle passe par Diego Maradona, «el pipe de oro» (le«gamin en or») : un enfant-dieu auquelles peuples du monde entier ont érigé un culte, des autels bricolés dans les rues, et qui se retrouve jusque sur les vases ou les écus de Southway Studio. Dans les objets de SouthwayStudio – presque les accessoires d’un film d’anticipation qui se confond avec nos vies – Maradona rencontre les vases étrusques et les armures damasquinées, l’univers des elfes et les calandres de voiture Alfa Romeo. Mais c’est sans ironie, sans cynisme, sans distance froide et hautaine. Bien au contraire, c’est avec un amour flamboyant que Southway Studio embrasse, dans un geste artistique qui s’accomplit dans le savoir-faire et la minutie artisanale les plus passionnés, l’imaginaire mystique de notre époque.

Sommes-nous en communication avec l’esprit d’un passé inconnu? Ou avec l’âme d’un futur inimaginable? Vases, urnes, coupes, candélabres, bougeoirs, appliques, consoles, glaives, écus, Southway Studio renoue avec une façon d’œuvre antique, nimbée de lumière immémoriale, et si douce qu’elle coule dans notre gorge comme de l’hydromel. Mais les courbes, les motifs, les intentions et les couleurs appartiennent à une humanité qui n’a pas encore vu le jour sur la terre. Ils appartiennent aux mondes extra-terrestres, ou, plus encore, au temps présent d’un univers parallèle qui aurait toujours coexisté avec le nôtre mais qu’on ne croiserait que lors d’hallucinations, ou en rêve. Il y a dans l’expérience de Southway Studio quelque chose de comparable aux implications métaphysiques des romans de Philip K. Dick. C’est notre monde, sauf que nous ne savons pas que c’est notre monde. Nous croyons être dans la science-fiction mais nous sommes dans la réalité. L’équilibre, les symétries, et les applications de couleur ne nous semblent exotiques que parce que nous avons oublié notre propre exotisme, notre propre nostalgie de la «terre de nulle part». Le «pays du non-où» comme l’appelait Sohrawardi.

Il y a plus d’un point commun entre l’approche elfiste de l’antiquité de Southway Studio et Henry Corbin concluant sa dernière intervention en public, le 4 juin 1978, par l’hommage inattendu d’un «gnostique» à une œuvre «pop» qui lui était directement contemporaine: «Depuis la clôture du cycle du Graal, je crois qu’il n’était pas paru en Occident une épopée à la fois héroïque, mystique et gnostique, dont les événements extérieurs puissent à la fois enchanter les adolescents et les vieux sages, pour que ceux-ci en perçoivent tout le sens caché. Cette épopée, nous la devons à un britannique: Tolkien. Elle a pour titre: Le Seigneur desanneaux.»

Depuis si longtemps, l’homme vit en extraterrestre sur la terre. Somnambule, il a oublié son propre langage. Toute œuvre, comme tout poème, doit provoquer une anamnèse, non seulement de la véritable identité de la personne qui la contemple, mais de sa véritable langue. Car cette langue elle-même était le pont dressé entre lui et les choses, le metaxy qui lui permettait d’accéder à une vie pleinement poétique.Un vase est une parole d’accueil adressée au monde. Un glaive est un verbede guerre.Lorsque nous regardons une coupe, nous entrons en communication avec l’esprit de réception. Lorsque nous regardons un bougeoir, avec l’esprit de la flamme. La forme «serpenteuse» avec laquelle Bela Hunt & DDCabordent les objets leur permet de saisir l’observateur comme dans un filet et de l’attirer dans une danse avec le monde. C’est ce Serpent qui régénère notre regard et, avec lui, notre être au monde. Nous sommes dans les coulisses d’un théâtre nouveau et la transe de notre véritable vie va commencer.


Metaxy, Pacôme Thiellement