Ethereal Swann

29/07/2022 - 15/11/2022

Pavillon Southway, 433 Boulevard Michelet, 13009 Marseille.

Artist : Jenna Kaës

FR/ Jenna Kaës. Conjurer l’absence

Louis, Othon, Frédéric, Guillaume. Tous ces prénoms ont été donnés à sa naissance au futur Louis II de Bavière (1845-1886), comme si tous les grands rois et empereurs du Moyen Âge avaient été invités à se pencher sur son berceau. Mais Louis II est né en plein XIXe siècle : Louis XVI a été guillotiné en 1793, Othon Ier de Grèce a été renversé en 1862, et la Bavière a dû rejoindre en 1871 le nouvel Empire allemand de la dynastie prussienne des Hohenzollern, dont les membres sont habituellement prénommés Frédéric et Guillaume. Louis II passe ses premiers étés dans le château néogothique de Hohenschwangau, le « paradis de son enfance », où il est comme transporté dans le Moyen Âge féérique du romantisme allemand, rêvant devant les fresques de Moritz von Schwind représentant la quête du Graal et la légende de Lohengrin. Mais le « seul vrai roi » du XIXe siècle selon Verlaine n’est pas fait pour la monarchie constitutionnelle, la révolution industrielle ou la realpolitik bismarckienne, et sa mort de héros shakespearien dans un lac finit d’en faire une icône romantique. A défaut de véritablement gouverner, il s’est efforcé, avec ses architectes et ses artistes, de faire renaître ou naître un monde à la fois révolu, aboli et fantaisiste, construisant des refuges contre la laideur et la brutalité du monde.

“Ethereal Swann”, Jenna Kaës (c) Silvia Cappellari.

Cette volonté de conjurer l’absence, du temps comme de la matière, parcourt l’œuvre de Jenna Kaës, qui pourrait être le décor rêvé d’un château imaginaire de Louis II de Bavière, comme une invitation à s’asseoir à la table acidulée du Roi pêcheur ou au banquet du Valhalla. Reliquaires sans reliques, ses objets constituent ensemble un trésor médiéval, qui par leur regroupement, leur agencement, leurs jeux de matières et de formes, rendent l’absence présente, et deviennent à leur tour des reliques. Les éclats lumineux qui les parcourent et s’y reflètent de manière éphémère, sans que l’on sache bien s’ils jouent avec la lumière ou si c’est la lumière qui joue avec eux, brouillent la frontière entre le réel et l’irréel, le matériel et l’immatériel, entre l’objet et son double éthéré.

Ses calices, à la fois métalliques et vivants, sont comme un Graal dont le sang se serait retiré en le métamorphosant par son départ, fusionnant l’éternel et l’éphémère dans une union paradoxale. Ses chandeliers, véritables monuments au temps perdu, solidifient le passage des heures que mesurent des bougies consumées, transformées en cire perdue, définitivement fondues pour mieux ressusciter avec l’éclat solide du métal. Le chandelier roman de Gloucester mettait en scène le combat entre le bien et le mal, le silence et la parole, l’ombre et la lumière : ceux de Jenna Kaës partagent ses formes stalagmitiques, mais ils les situent dans une sorte de chaos primordial, Par-delà le bien et le mal. Le temps qui passe et qui revient, déposant et retirant ses sédiments au hasard de ses flux et de ses reflux, se donne aussi à voir dans ces tapisseries fantômatiques, maculées par les souvenirs embrumés de chasses lointaines dans des forêts arcadiennes. Les perles à partir desquelles sont confectionnées les toiles d’araignées qui les recouvrent, à la fois inquiétantes et enfantines, sortent tout droit d’un ancien atelier de confection de couronnes mortuaires : ces petits morceaux de verre ont finalement conservé la fonction qu’elles avaient à l’origine dans les cimetières, où elles encadraient les photographies aujourd’hui à demi effacées des défunts. Elles essaient de conjurer, de manière éphémère et consciemment illusoire, l’inexorable écoulement du temps, et l’absence inéluctable qui en découle. 

Raphaël Bories.

© Emile Barret

EN/ Jenna Kaës. Conjuring up absence

Ludwig, Otto, Frederick, William. All these names were given to the future Ludwig II of Bavaria (1845-1886) at birth, as if all the great kings and emperors of the Middle Ages had been invited to look into his cradle. But Ludwig II was born in the middle of the 19th century: Louis XVI was guillotined in 1793, Otto I of Greece was overthrown in 1862, and Bavaria had to join the new German Empire of the Prussian Hohenzollern dynasty in 1871, whose members were usually named Frederick and William. Ludwig II spent his first summers in the neo-Gothic castle of Hohenschwangau, the "paradise of his childhood", where he was transported to the fairy-tale Middle Ages of German Romanticism, dreaming in front of Moritz von Schwind's frescoes depicting the quest for the Grail and the legend of Lohengrin. But the "only true king" of the 19th century, according to Verlaine, was not made for constitutional monarchy, the industrial revolution or Bismarckian realpolitik, and his death as a Shakespearean hero in a lake made him a romantic icon. Failing to truly govern, he endeavoured, with his architects and artists, to revive or give birth to a world that was at once bygone, abolished and fantastical, building refuges against the ugliness and brutality of the world.

This desire to conjure up absence, of time as well as of matter, runs through Jenna Kaës' work, which could be the dreamy decor of an imaginary castle of Ludwig II of Bavaria, like an invitation to sit at the acidulous table of the Fisher King or at the banquet of Valhalla. Reliquaries without relics, her objects together constitute a medieval treasure, which by their grouping, their arrangement, their play of materials and forms, make absence present, and in turn become relics. The luminous flashes that run through them and are reflected in an ephemeral manner, without it being clear whether they are playing with the light or whether it is the light that is playing with them, blur the border between the real and the unreal, the material and the immaterial, between the object and its ethereal double.

Her chalices, both metallic and alive, are like a Grail from which the blood has been withdrawn, metamorphosing it by its departure, merging the eternal and the ephemeral in a paradoxical union. Her candlesticks, veritable monuments to lost time, solidify the passage of hours measured by burnt-out candles, transformed into lost wax, definitively melted, only to be resurrected with the solid shine of metal. Gloucester's Romanesque candlestick featured the struggle between good and evil, silence and speech, shadow and light: Jenna Kaës' candlesticks share her stalagmitic forms, but they situate them in a kind of primordial chaos, Beyond Good and Evil. The passing and returning of time, depositing and withdrawing its sediments in the random ebb and flow of time, can also be seen in these ghostly tapestries, stained with foggy memories of distant hunts in Arcadian forests. The beads from which the spider webs that cover them are made, at once disquieting and childlike, come straight out of an old workshop for making funeral wreaths: these small pieces of glass have finally retained the function they originally had in cemeteries, where they framed the now half-faded photographs of the deceased. They try to ward off, in an ephemeral and consciously illusory way, the inexorable passage of time and the ineluctable absence that follows.

Raphaël Bories.