Domestic - Like a preraphaelite brotherhood

2017, Galerie Truth & Consequences, Genève, Suisse.

Cur. Emmanuelle Luciani et Charlotte Cosson.

Artists : Caroline Achaintre, Victoria Colmegna, Liz Craft, Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Andrew Humke, Bella Hunt and Ddc, Tiziana la Melia, Giorgio Morandi, Robert Rush, We Are The Painters, Betty Woodman.

FR/ Céramique et tapisserie : apparition dans la sphère domestique

La préhistoire voit apparaître le tissage et la poterie. Une des paraboles sur l’origine de la tapisserie conte comment les chasseurs-cueilleurs du paléolithique se seraient inspiré des nids d’oiseaux pour tresser des tentures à partir de matériaux trouvés afin de réchauffer les parois de leurs grottes. L’architecte et critique Gottfried Semper date quant à lui simultanément l’apparition du nœud et celui de l’architecture. Hypothèses ou théories, ces histoires permettent néanmoins d’affirmer que le tressage de la laine et le façonnage de la terre ne peuvent être séparés de la sphère domestique au sein de laquelle ils ont été inventées.

Un art à échelle humaine

Individuellement –à l’image de ces créatifs culturels si nombreux à transformer la société sans s’en douter – Caroline Achaintre, Victoria Colemegna, Liz Craft, Dewar & Gicquel, Andrew Humke, Bella Hunt & DDC, Giorgio Morandi, Robert Rush, Tiziana la Melia, We Are The Painters et Betty Woodman se relient chacun à cette Histoire traditionnelle de la domesticité. Ces artistes produisent des œuvres dont la nature même les font se fondre dans les intérieurs qui les accueillent. Loin de l’apologie de la machine, voire d’un certain gigantisme propre au XXe siècle et aux sculptures post-duchampiennes, ces œuvres se placent à l’échelle de l’Homme. A l’opposé de la lignée entamée par Adolf Loos et théorisée par Clement Greenberg, ces œuvres assument leurs forts liens avec le décoratif et les arts mineurs. Pour certains de leurs créateurs, telles Betty Woodman, Liz Craft et Caroline Achaintre, ce trait en fait même des œuvres engagées en faveur des minorités. Betty Woodman (née en 1930) fut, avec ses céramiques souvent associées à des huiles sur toiles, l’un des piliers de «Pattern and Decoration». Ce mouvement né sur la côte ouest américaine a pris comme médium privilégié la tapisserie qui, en plus de comporter des motifs abstraits avant même l’avènement de l’abstraction au sein du modernisme, était l’apanage seul des femmes et des civilisations non-occidentales. «Pattern and Decoration»entretenait des liens privilégiés avec le folk art et le kitsh, à l’instar des œuvres assemblées dans DOMESTIC dont les ramifications avec le vernaculaire et le rustique sont difficiles à nier

Artisanat et vernaculaire

DOMESTIC ne présente en aucun cas des œuvres flirtant avec le design; et en aucun cas ne souhaiterait un nivellement de l’art avec le mobilier industriel. Au contraire, les céramiques, tables ou tapisseries ici exposées ont été produites par les artistes eux-mêmes. Dewar & Gicquel ont construit leur propre four à bois afin de cuire leurs pièces, Robert Rush s’est déplacé dans la plus vieille poterie du sud –RAVEL –afin de perfectionner son art en apprenant des techniques ancestrales au sein de notre résidence, Caroline Achaintre a tissé ses toiles-tapisseries en s’affranchissant d’un métier à tisser, Bella Hunt & DDC ont mêlé des pigments naturels à un mélange expérimental de chaux afin de créer des œuvres a fresco dans la campagne aixoise. Ces artistes se réfèrent ainsi à l’artisanal. En utilisant des techniques millénaires tout en faisant l’apologie du réalisé main, ils se relient à une histoire globale de l’humanité précédant la course technologique. En montrant les marques de production, ils s’inscrivent également en faux vis à vis de la «mort de l’auteur», vulgarisée dans les années 1960 tout en rappelant la Renaissance classique qui masquait le labeur en effaçant les traces de pinceaux. Les artistes ici exposés n’endossent pourtant pas le rôle démiurge qui pourrait être associé à la «touche». Ils se réfèrent au Moyen Age et à l’Antiquité, périodes où les artistes n’étaient souvent pas crédités pour leurs œuvres et où Minerve était à la fois déesse des arts et patronne des artisans. L’attitude de ces artistes envers les matériaux offerts par la terre, le savoir-faire des artisans et les modes de production respectueux de l’environnement est empreinte d’humilité.

Médiéval et quête d’un paradis perdu

Ces artistes se réfèrent au Moyen-Age, une époque qui reflète selon eux des valeurs morales et spirituelles supérieures à celles de la société industrielle s’étant définitivement imposée au milieu du XVIIIe siècle. Pour les Troubadours, les Nazaréens ou les Préraphaélites –au sein desquels William Morris a débuté son mouvement entre arts et craft–le médiéval fait figure d’un paradis perdu au sein d’une société où la machine remplace et aliène l’Homme. Citer les primitifs italiens revient à refuser le point de vue centré, unique, lié à la perspective mathématique et correspondant à l’individualisme de la période moderne. L’artisanat devient dès lors le remède à la sclérose des savoirs et des mœurs. A l’instar des tenants du mouvement symboliste qui balaie le XIXe siècle, ces artistes opposent un refus catégorique de leur époque avide de progrès, d’uniformisation, d’égocentrisme et d’accumulation. Le médiéval et les particularismes régionaux expriment à partir de ce moment les valeurs d’authenticité et de sincérité par eux recherchées.

Machine vs automatisation

Les contradicteurs de ces mouvements tournés vers le passé souligneraient que la recherche d’un paradis perdu n’a toujours été que chimère. Ils rappelleraient également le caractère technique de la production de céramique et de tapisserie ; le mélange adéquat de terre, le temps de séchage savamment calculé, la construction d’un four et une cuisson extrêmement précise pour l’un, la mise en place d’un métier, cette machine parfois extrêmement complexe, pour le second. Les œuvres de Dewar & Gicquel où s’accumulent des objets du quotidien soulignent d’ailleurs que la poterie a permis d’induire le sériel –et a ainsi favorisé la division des tâches propre au capitalisme – puisque les artisans pouvaient dès lors reproduire indéfiniment les mêmes formes. Ce serait donc l’automatisation de la machine, en remplaçant la fusion de l’artisan avec son métier, et non pas la machine elle-même, qui serait la problématique principale de l’époque industrielle pour les artistes et les artisans combattant l’aliénation de l’humain.

S’extraire des capitales

En s’associant à l’artisanat traditionnel, les artistes contemporains semblent éviter l’écueil de l’automatisation comme celui de l’apologie d’un monde sans machine. Les outils sont bien sûr toujours nécessaires afin de produire. Ce constat est d’une simplicité évidente, comme issu d’un savoir paysan. Ces valeurs semblent s’incarner dans les humbles natures mortes de Giorgio Morandi (1890-1964). Elles pourraient d’ailleurs former le pont reliant, au XXe siècle, les créations des Préraphaélites aux pratiques contemporaines utilisant des média séculaires tels la céramique, le bronze ou la tapisserie.8Les Préraphaélites se référaient aux trecento et quattrocento italiens où les masses rustiques des figures de Giotto ou Pierro della Francesca étaient baignées d’une lumière à la douceur divine. Une lumière similaire se diffuse dans les toiles de Morandi, ayant vécu en ermite dans la campagne italienne. Osons affirmer que ces traits – simplicité, rusticité, clarté douce et rasante –se retrouvent, au sein de l’Histoire de l’art, dans des pratiques développées en dehors des capitales financières et ont toujours eu un lien fort avec le Sud de l’Europe et le Nord-Ouest de la Méditerranée en particulier.

Confréries

Une frange de l’art contemporain –en utilisant ces pratiques séculaires tout en regardant vers le Moyen-Age et en rejouant les codes (couleurs, communautaires...) des réactionnaires du XIXesiècle – renoue avec cette lignée d’artistes et de penseurs n’ayant jamais accepté leur contemporanéité et la course à un progrès aveugle. À leur suite, ils se rattachent à des motifs et des techniques premières – et ainsi aux racines mêmes de l’humanité. Andrew Humke peint des formes primitives, issues d’une architecture rudimentaire. Ses œuvres appellentà une méditation sur un monde atomiste bâti sur un dénominateur commun. Cette pensée moniste semble toujours ressurgir en philosophie lors de moments de peur d’extinction de sociétés et, donc, de repli sur soi. Mais comment comprendre que cette philosophie humaniste puisse s’associer à une retraite ?

Des confréries apparaissent toujours dans l’art durant ces périodes clés. À la suite des Nazaréens ou des Préraphaélites, Bella Hunt & DDC produisent dans la campagne entourés d’autres artistes, Victoria Colmegna rejoue le mobilier d’une «sororité» [sisterhood] vivant à côté de chez elle, We Are The Painters efface les patronymes de chacun derrière une identité générique, Robert Rush a transformé une maison londonienne en résidence d’artistes où il vit en communauté avec d’autres céramistes et leurs animaux... Ces collectifs renouent tous avec des traditions dans le but d’envisager à nouveau un avenir ; leurs communautés, loin d’être exclusives, sont vouées à inclure de plus en plus de membres. Ainsi, cette génération née dans la crise –mais souhaitant la transcender dans un mouvement que l’on oserait nommer oracular/vernacular –propose non pas de poursuivre l’individualisme occidental né à la Renaissance, mais plutôt de se rappeler l’élan médiéval. N’était-ce pas l’époque où les chefs-d’œuvre–appelés cathédrales –étaient bâtis en commun, sans signature, par des Hommes n’ayant que peu de chance de voir l’opus terminé? Sans minorer les problématiques de cette époque, louons tout de même, à l’instar des artistes ici exposés, la beauté de ce moment de coalition sociale vers un projet d’avenir commun.

EN/ Ceramics and tapestry: appearance in the domestic sphere

One of the parables on the origin of tapestry tells how the hunter-gatherers of the Paleolithic period were inspired by birds' nests to weave hangings from found materials to warm the walls of their caves. The architect and critic Gottfried Semper dates the appearance of the knot and architecture simultaneously. Hypotheses or theories, these stories nevertheless allow us to affirm that wool braiding and earth shaping cannot be separated from the domestic sphere in which they were invented.

Art on a human scale

Individually - like so many of the cultural creatives who are unknowingly transforming society - Caroline Achaintre, Victoria Colemegna, Liz Craft, Dewar & Gicquel, Andrew Humke, Bella Hunt & DDC, Giorgio Morandi, Robert Rush, Tiziana la Melia, We Are The Painters, and Betty Woodman each connect to this traditional history of domesticity. These artists produce works whose very nature makes them blend into the interiors that host them. Far from the apology of the machine, or even of a certain gigantism proper to the twentieth century and to post-Duchampian sculptures, these works are placed on the scale of Man. In contrast to the lineage begun by Adolf Loos and theorised by Clement Greenberg, these works assume their strong links with the decorative and minor arts. For some of their creators, such as Betty Woodman, Liz Craft and Caroline Achaintre, this trait even makes them works committed to minorities. Betty Woodman (born 1930) was one of the pillars of Pattern and Decoration, with her ceramics, often combined with oil on canvas. This movement, which originated on the American West Coast, took as its preferred medium tapestry, which, in addition to featuring abstract motifs even before the advent of abstraction within modernism, was the sole preserve of women and non-Western civilisations. "Pattern and Decoration" had privileged links with folk art and kitsch, as do the works assembled in DOMESTIC, whose ramifications with the vernacular and the rustic are hard to deny

Craft and vernacular

DOMESTIC in no way presents works that flirt with design; nor would it wish to level art with industrial furniture. On the contrary, the ceramics, tables or tapestries on display here were produced by the artists themselves. Dewar & Gicquel built their own wood-fired kiln to fire their pieces, Robert Rush travelled to the oldest pottery in the south -RAVEL- to perfect his art by learning ancestral techniques in our residency, Caroline Achaintre wove her tapestries without the use of a loom, Bella Hunt & DDC mixed natural pigments with an experimental lime mixture to create a fresco work in the Aix countryside. In this way, these artists refer to the artisanal. By using age-old techniques while praising the handmade, they connect to a global history of humanity that precedes the technological race. By showing the marks of production, they also take issue with the "death of the author" popularised in the 1960s, while recalling the classical Renaissance, which masked labour by erasing brush marks. However, the artists exhibited here do not assume the demiurge role that might be associated with the "touch". They refer to the Middle Ages and Antiquity, periods when artists were often not credited for their work and when Minerva was both goddess of the arts and patroness of craftsmen. The attitude of these artists towards the materials offered by the earth, the skills of craftsmen and environmentally friendly production methods is marked by humility.

Medieval and the quest for a lost paradise

These artists refer to the Middle Ages, an era that they believe reflects moral and spiritual values superior to those of the industrial society that took hold in the mid-eighteenth century. For the Troubadours, the Nazarenes and the Pre-Raphaelites - in whose midst William Morris began his movement between art and craft - the Middle Ages represented a paradise lost in a society in which the machine replaced and alienated man. To quote the Italian primitives is to reject the centred, single point of view linked to the mathematical perspective and corresponding to the individualism of the modern period. Craftsmanship therefore becomes the remedy for the sclerosis of knowledge and morals. Like the proponents of the symbolist movement that swept through the 19th century, these artists categorically rejected their era's desire for progress, uniformity, egocentrism and accumulation. Medieval and regional particularities expressed the values of authenticity and sincerity that they were seeking.

Machine vs. automation

The opponents of these backward-looking movements would point out that the search for a lost paradise has always been a pipe dream. They would also point to the technical nature of ceramic and tapestry production; the proper mixing of clay, the carefully calculated drying time, the construction of a kiln and extremely precise firing for the former, the setting up of a loom, that sometimes extremely complex machine, for the latter. The works of Dewar & Gicquel, in which everyday objects are accumulated, emphasise that pottery made it possible to induce serial production - and thus encouraged the division of tasks that is characteristic of capitalism - since the craftsmen could from then on reproduce the same forms indefinitely. It would therefore be the automation of the machine, replacing the fusion of the craftsman with his craft, and not the machine itself, that would be the main problem of the industrial era for artists and craftsmen fighting the alienation of the human.

Getting out of the capitals

By associating themselves with traditional crafts, contemporary artists seem to avoid the pitfall of automation as well as the apology of a world without machines. Of course, tools are still necessary in order to produce. This observation is of obvious simplicity, as if derived from peasant knowledge. These values seem to be embodied in the humble still lifes of Giorgio Morandi (1890-1964). They could also form the bridge between the creations of the Pre-Raphaelites in the twentieth century and contemporary practices using secular media such as ceramics, bronze or tapestry.8 The Pre-Raphaelites referred to the Italian Trecento and Quattrocento, where the rustic masses of Giotto's or Pierro della Francesca's figures were bathed in a divinely soft light. A similar light is diffused in the paintings of Morandi, who lived as a hermit in the Italian countryside. Let us dare to say that these traits - simplicity, rusticity, soft, low-angled light - can be found, within the history of art, in practices developed outside the financial capitals and have always had a strong link with southern Europe and the northwestern Mediterranean in particular.

Brotherhoods

A fringe of contemporary art - using these age-old practices while looking back to the Middle Ages and replaying the codes (colours, community...) of 19th century reactionaries - revives this lineage of artists and thinkers who never accepted their contemporaneity and the race to blind progress. Following in their footsteps, they return to primitive motifs and techniques - and thus to the very roots of humanity. Andrew Humke paints primitive forms from a rudimentary architecture. His works call for a meditation on an atomistic world built on a common denominator. This monistic thinking always seems to resurface in philosophy at times of fear of the extinction of societies and, therefore, of withdrawal into oneself. But how can we understand that this humanist philosophy can be associated with a retreat?

Brotherhoods always appear in art during these key periods. Following the Nazarenes or the Pre-Raphaelites, Bella Hunt & DDC produce in the countryside surrounded by other artists, Victoria Colmegna re-enacts the furniture of a 'sisterhood' living next door, We Are The Painters erase each other's surnames behind a generic identity, Robert Rush has turned a London house into an artist's residence where he lives in community with other ceramists and their animals... These collectives are all reviving traditions in order to envision a new future; their communities, far from being exclusive, are destined to include more and more members. Thus, this generation born in the crisis - but wishing to transcend it in a movement that one would dare to call oracular/vernacular - proposes not to pursue the Western individualism born in the Renaissance, but rather to recall the medieval impulse. Wasn't it the time when masterpieces - called cathedrals - were built in common, without signature, by Men with little chance of seeing the opus finished? Without underestimating the problems of that time, let us nevertheless praise, like the artists exhibited here, the beauty of this moment of social coalition towards a common future project.