Gothic revival - A Gothic lounge

2021 - 2022

Pavillon Southway, 433 Boulevard Michelet, 13009, Marseille.

Cur. Emmanuelle Luciani.

Artists : Bella Hunt & DDC, Jenna Kaës.

FR/ « Gothic revival - A Gothic lounge »présente les oeuvres de Bella Hunt & Ddc et de Jenna Kaës. Chacun, à travers les oeuvres de céramique et de verre, proposent des variations formelles et esthétiques en partant du gothique, aussi bien dans son sens architectural (arc brisé, fenêtre trilobée, verticalité), que dans son sens littéraire et esthétique, qui a émergé au XVIIIe siècle (étrangeté, pourpre, ambiance de demeure ancienne et hanté, travail à partir du motif de la toile d’araignée ou des ailes de chauves-souris…). « Gothic revival - A Gothic lounge » libère un passé refoulé et se fait la synthèse d’un ensemble de périodes pré-modernes. Les oeuvres de l’exposition loin d’être inertes et hors du monde, font corps avec lui.

Le Gothique : épithète underground

« Gothic revival - A Gothic lounge » convoque toute l’histoire de la contre-culture gothique née au XVIIIe siècle pour traverser l’histoire jusqu’à nos jours. L’épithète « gothique » a connu toutes les significations. Synonyme de barbare et de grossier sous l’Ancien régime, il devient un mot appelant aussi bien au sentiment de nostalgie qu’aux notions de bizarrerie ou de sublime et il est ainsi parent de l’idée romantique.

Le courant gothique est né au siècle des Lumières, à l’époque du triomphe de la raison, et son caractère exutoire est un contre-feu face à un modernisme trop éclatant. Il est l’expression d’un passé refoulé, occulté et ignoré dans l’Europe du progrès, des grandes découvertes et de la révolution industrielle. Il fait ressurgir formes et motifs, réutilisés et réinterprétés tant dans les arts que dans la littérature et la culture populaire. Le courant gothique irrigue une sous-culture qui ne s’éteint jamais, et qui se manifeste encore au XXIe siècle, dans la pop culture, dans le vêtement, la littérature de genre, le cinéma ou la musique. Il étonne par sa longévité et sa résilience sur près de trois siècles.

Le gothique en tant que revival émerge au XVIIIe siècle lors de la publication du roman fondateur d’Horace Walpole, le Château d’Otrante, écrit en 1764. Ce courant s’est incarné sous différents avatars, notamment via l’historicisme du début du XIXe siècle et la nostalgie médiévale des peintres troubadours, de Viollet-le-Duc ou de Félicie de Fauveau, dont l’élément déclencheur est le Musée des monuments français fondé par Alexandre Lenoir dans les années 1790. Le néo-gothique est une invention a posteriori, entre roman gothique et roman national (restaurations de Carcassonne ou de Notre-Dame). Ce retour du gothique apparaît dans le nouveau paradigme de la rationalité de la Révolution française et de la révolution industrielle : il est une réponse au culte de la raison. Il essaime sous différentes formes : le roman gothique de Walpole, ou de Poe, aux XVIIIe et XIXe siècle, le récit horrifique de Lovecraft, dans les années 1920-1930, l’art historiciste, et enfin dans la culture populaire. Depuis son apparition, il n’a jamais disparu, et ressurgit de manière cyclique, remontant à la surface lors de changements historiques. On le voit apparaître dans les pays qui ont basculé dans l’idée de modernité (Europe de l’ouest, États-Unis, Mexique, Japon…), où a triomphé l’idée de progrès, comme en contrepoint d’une modernité radicale. L’exposition « Gothic revival », par Emmanuelle Luciani et avec Bella Hunt & Ddc et Jenna Kaës, s’inscrit dans ce rapport de continuité de cette sous-culture gothique, phénomène esthétique latent.

Anamnesis esthétique

Le processus historique des revival, renouveaux, « néo » quelque chose ou mise à jour, revient cycliquement en art. En attestent ainsi la Renaissance italienne au XVe siècle, les néo-classicismes, ou encore le gothic revival britannique et français du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle. Ces mouvements sont autant de regards jetés sur le passé. Ces variations à partir de formes anciennes semblent coïncider historiquement à des périodes particulières d’élan et de progrès fulgurants. Ainsi, les Pré-Raphaélites se réunissent en 1848 en pleine révolution industrielle. Ces résurgences historiques formelles sont de survivances culturelles qui rejaillissent dans un contexte de négation, de dissimulation ou de disparition du passé. Jenna Käes, Bella Hunt & Ddc et Emmanuelle Luciani s’inscrivent dans le sillage créateur de ces résurgences historiques. « Gothic revival - A Gothic lounge » est un salon fantasmagorique ; on y retrouve la verticalité du gothique, et le sentiment d’histoire propre au romantisme. L’exposition se propose comme une errance historique, une digression artistique autour des motifs de l’arc brisé, de la fenêtre trilobée ou de la composition verticale. Les oeuvres exposées convoquent aussi le néo-gothique sous sa forme sous-culture, avec le recours à des motifs dignes de la grande salle d’un château hanté : toiles d’araignée, ailes de chauves-souris ou silhouettes de chouette et de hibou. Le lieu du château, comme celui de l’abbaye abandonnée, est le lieu par excellence pour se confronter à un temps qui n’est plus. Ces motifs ont rejoint la culture populaire, à travers l’image du revenant et du vampire. Passé au cours du XXe siècle de revenant sanguinaire et anthropophage à immortel mélancolique, le vampire, comme le personnage immortel d’Adam dans « Only lovers left alive » de Jim Jarmusch (2013), est condamné à l’errance historique. Le salon de « Gothic Revival » est créé pour un vampire, qui incarne cet autre rapport au temps, et il devient alors un archétype, prétexte à cette promenade historique et aux variations esthétiques des oeuvres présentées.

« Gothic lounge »

Emmanuelle Luciani, Jenna Käes et Bella Hunt & Ddc ont produit des pièces inédites pour cette exposition. Les compositions de verre et de plomb avec inclusion de cabochons de Jenna Käes sont présentées par diptyque. Elles figurent des décors architecturés et ornementés, combinaisons de formes gothiques et Art nouveau. Les épaisses perles de verre et leur cerclage métallique rustique et simple pourra aussi évoquer la joaillerie mérovingienne et carolingienne. L’iconographie élégante se concentre sur des représentations d’arches, de fenêtres trilobées, de calice, d’ailes de chauve-souris et de toiles d’araignée, pour mieux évoquer la sédimentation formelle des influences historiques qui ont mené à ces travaux. Les dalles funéraires en aluminium et peinture chauffée, adossées aux murs comme des vestiges archéologiques exposés dans un musée lapidaire, reprennent également cette idée de synthèse entre les formes gothiques et le geste organique de l’Art nouveau. Comme en écho aux oeuvres de métal de Félicie de Fauveau, Bella Hunt & Ddc ont produit des épées et des boucliers de céramique. Comme Fauveau et son frère, le duo de sculpteurs-céramistes reviennent sur des objets usuels, ici des armes, pour les réinventer sous l’apparence d’oeuvreshommages, semblables à des trophées ou à des reliquaires. Leur destination et leur traitement, à l’engobe émaillé, rejoint l’idée d’apparat des chefs-d’oeuvres de l’orfèvrerie et de la forge du XVIe siècle ou des créations de Félicie de Fauveau, comme le gorgerin exécuté pour la duchesse du Berry en 1831. L’ombre des revenants, ombre de la rationalité, plane sur les oeuvres de Jenna Käes,et de Bella Hunt & Ddc. Les panneaux de verre, les urnes, les épées et les accessoire émaillés, figurent des restes et des retours esthétiques formels. Ils incarnent la libération d’un refoulé historique, synthèse d’un ensemble de périodes pré-modernes. Les oeuvres de « Gothic revival », loin d’être inertes et hors du monde, font corps avec lui ; l’usage de la céramique, du verre et du stuc convoque la nature et souligne la fascination qu’elle exerce sur les artistes et ne sont pas sans évoquer le romantisme du sublime et de la verticalité de Kaspar David Friedrich. Concrétisation de réflexions sur le gothique en tant que forme et mouvement issues de conférences données à l’Esba Moco, « Gothic revival » donne à voir une promenade historique.

© Junayd Cherifi

EN/ "Gothic revival - A Gothic lounge" presents the works of Bella Hunt & Ddc and Jenna Kaës. Each of them, through ceramic and glass works, propose formal and aesthetic variations starting from the Gothic, both in its architectural sense (broken arch, three-lobed window, verticality), and in its literary and aesthetic sense, which emerged in the 18th century (strangeness, purple, atmosphere of an old and haunted dwelling, work based on the motif of the spider's web or the wings of bats...) "Gothic revival - A Gothic lounge" releases a repressed past and synthesises a range of pre-modern periods. The works in the exhibition are far from being inert and out of the world, they are one with it.

Gothic: an underground epithet

"Gothic revival - A Gothic lounge" summons up the entire history of the Gothic counterculture born in the 18th century to cross history to the present day. The epithet "gothic" has had all sorts of meanings. Synonymous with barbaric and crude under the Ancien Régime, it became a word that appealed to feelings of nostalgia as well as to notions of the bizarre or the sublime, and was thus related to the Romantic idea. The Gothic movement was born in the Age of Enlightenment, at the time of the triumph of reason, and its exutory character is a counter-fire to an overly brilliant modernism. It is the expression of a repressed, hidden and ignored past in the Europe of progress, of the great discoveries and of the industrial revolution. It brings back forms and motifs, reused and reinterpreted in the arts as well as in literature and popular culture. The gothic movement has created a subculture that never dies out, and which still manifests itself in the 21st century in pop culture, clothing, genre literature, cinema and music. It is astonishing in its longevity and resilience over almost three centuries.

The Gothic revival emerged in the 18th century with the publication of Horace Walpole's seminal novel, The Castle of Otranto, written in 1764. This trend was embodied in various avatars, notably via historicism at the beginning of the 19th century and the medieval nostalgia of the troubadour painters, Viollet-le-Duc or Félicie de Fauveau, whose trigger was the Museum of French Monuments founded by Alexandre Lenoir in the 1790s. The neo-Gothic is an afterthought, between the Gothic and the National Romanesque (restorations of Carcassonne and Notre-Dame). This return of the Gothic appeared in the new paradigm of rationality of the French Revolution and the Industrial Revolution: it was a response to the cult of reason. It spread in different forms: Walpole's and Poe's Gothic novels in the 18th and 19th centuries, Lovecraft's horrific stories in the 1920s and 1930s, historicist art, and finally in popular culture. Since its appearance, it has never disappeared, and resurfaces in a cyclical manner, coming to the surface during historical changes. We see it appear in countries that have switched to the idea of modernity (Western Europe, the United States, Mexico, Japan, etc.), where the idea of progress has triumphed, as a counterpoint to radical modernity. The exhibition "Gothic revival", by Emmanuelle Luciani and with Bella Hunt & Ddc and Jenna Kaës, is part of this relationship of continuity of this Gothic subculture, a latent aesthetic phenomenon.

Aesthetic Anamnesis

The historical process of revival, renewal, "neo" something or update, returns cyclically in art. The Italian Renaissance in the fifteenth century, the neo-classicisms, and the British and French gothic revivals of the eighteenth century and the first half of the nineteenth century all bear witness to this. These movements are all glimpses into the past. These variations on old forms seem to coincide historically with particular periods of momentum and rapid progress. For example, the Pre-Raphaelites met in 1848 at the height of the Industrial Revolution. These formal historical resurgences are cultural survivals that emerge in a context of denial, concealment or disappearance of the past. Jenna Käes, Bella Hunt & Ddc and Emmanuelle Luciani follow in the creative wake of these historical resurgences. "Gothic revival - A Gothic lounge" is a phantasmagorical salon, with the verticality of the Gothic and the sense of history of Romanticism. The exhibition is a historical wander, an artistic digression around the motifs of the broken arch, the three-lobed window or the vertical composition. The works on display also evoke the neo-Gothic in its subcultural form, with the use of motifs worthy of the great hall of a haunted castle: spider webs, bat wings or owl silhouettes. The place of the castle, like that of the abandoned abbey, is the place par excellence for confronting a time that is no longer. These motifs have found their way into popular culture, through the image of the ghost and the vampire. The vampire, like the immortal Adam in Jim Jarmusch's Only lovers left alive (2013), has gone from being a bloodthirsty, anthropophagous revenant to a melancholic immortal in the course of the twentieth century and is condemned to historical wandering. The lounge in "Gothic Revival" is created for a vampire, who embodies this other relationship to time, and he then becomes an archetype, a pretext for this historical walk and for the aesthetic variations of the works presented.

"Gothic lounge”

Emmanuelle Luciani, Jenna Käes and Bella Hunt & Ddc have produced new pieces for this exhibition. Jenna Käes' glass and lead compositions with cabochon inclusions are presented in diptychs. They feature architectural and ornamental decorations, combinations of gothic and art nouveau forms. The thick glass beads with their rustic and simple metal rings may also evoke Merovingian and Carolingian jewellery. The elegant iconography focuses on representations of arches, three-lobed windows, chalices, bat wings and spider webs, to better evoke the formal sedimentation of historical influences that led to this work. The funerary slabs in aluminium and heated paint, set against the walls like archaeological remains exhibited in a lapidary museum, also take up this idea of synthesis between Gothic forms and the organic gesture of Art Nouveau. As if to echo Félicie de Fauveau's metal works, Bella Hunt & Ddc have produced ceramic swords and shields. Like Fauveau and her brother, the sculptor-ceramist duo return to everyday objects, in this case weapons, to reinvent them in the guise of tribute works, similar to trophies or reliquaries. Their destination and treatment, with enamelled slip, is in keeping with the idea of pomp and circumstance of the masterpieces of 16th century goldsmiths and smiths or the creations of Félicie de Fauveau, such as the gorgerin made for the Duchess of Berry in 1831. The shadow of ghosts, the shadow of rationality, hangs over the works of Jenna Käes, and Bella Hunt & Ddc. The glass panels, urns, swords and enamelled accessories are formal aesthetic remnants and returns. They embody the liberation of a historical repressed, a synthesis of pre-modern periods. The works of the "Gothic revival", far from being inert and out of the world, are at one with it; the use of ceramics, glass and stucco summons nature and underlines the fascination it exerts on the artists, and is reminiscent of Kaspar David Friedrich's romanticism of the sublime and verticality. Gothic revival" is a historical walk through the reflections on the Gothic as a form and a movement, which were the result of lectures given at the Esba Moco.